La peinture figurative contemporaine dans la collection agnès b.

La peinture est là. Voilà ce qui se murmure partout. Elle se déploie sur les cimaises des galeries et des musées, désormais sans complexes. On la chouchoute. Ce qui n’a pas toujours été le cas. Ce retour en grâce est vécu comme une petite renaissance. Or évidemment celle-ci, a fortiori figurative, a toujours été bien vivante, ce que reflète la collection d’agnès b. qui, elle, n’a jamais cessé de lui laisser une place de choix. 

Des murs de Brooklyn aux rues de Paris, la collectionneuse a toujours adopté « ce qui lui a sauté aux yeux » sans tabous ni hiérarchies esthétiques. Son goût navigue avec aisance des fulgurances underground et punk de la palette fantomatique d’Harmony Korine aux figures solitaires et symbolistes du Cubain Armando Marino, accompagnant les compositions plus sociétales et engagées du Congolais Cheri Samba et du Malien Amadou Sanogo, s’attardant avec attention sur les représentations du corps et de la nature chez Claire Tabouret ou Lola Montes Schnabel (la fille de Julian), tout en s’attachant à une candeur et une authenticité du geste pictural, ce dont témoignent les motifs liés au thème de l’enfance chez Loulou Picasso. 

Qu’elle fleurte avec le monde de la musique, de l’édition, du graffiti ou de la bande-dessinée, la collection d’agnès b. s’est construite depuis les années 1980 sur le fil d’une liberté d’expression à toute épreuve, s’affranchissant des diktats formels, investissant des détours inattendus et non conventionnels, transgressant les frontières traditionnelles de l’art contemporain. De là, est née cette galerie de peintures expressive, jouissive et sensible qui a privilégié très tôt le regard d’artistes contemporains africains – avant que leurs créations ne deviennent récemment plébiscitées par le marché – les ébullitions de la Figuration Libre de Robert Combas, les enchantements peuplés de créatures hybrides de Pierre Bodo, les artifices fantastiques de Hugues Reip, les foisonnements graphiques de Pascal Doury, les élans graffiti des Frères Ripoulin ou de A-One.

Également friande d’imageries poétiques à messages, de culture pop et des filiations de l’esprit dandy, elle a su mettre en lumière l’Anglais Simon English ainsi que les Américains Jim Shaw et Mike Lash.  

Voyager au travers de cette collection dont les oeuvres ici sélectionnées rendent hommage au déploiement d’un certain regard sur la peinture et le dessin figuratif de ces dernières décennies permet de tisser une trame chronologique reposant sur la soif de libertés esthétiques et de contre-cultures qui déjà, dans les années 1980 et 1990, n’hésitaient pas à conjuguer les arts plastiques, la littérature et la mode. S’ajoute aujourd’hui à ce panel, le retour à une figuration plus sage, caractéristique de ces cinq dernières années, la jeune génération de peintres retrouvant dans une touche méticuleuse et introspective un attrait singulier pour la nature et la scène de genre. Chez Mathilde Lestiboudois, le silence des objets érigent des paysages solitaires comme échappés d’une réalité trop agressive, cherchant peut-être à raviver un certain primitivisme coloré proche de la tempera et des fresques des Italiens de la Renaissance, chez Jean Claracq et Bruno Gadenne, urbanité et naturalisme hésitent entre espoir et angoisse naissante, décrivant une quête identitaire dans une société où l’absurdité percute une overdose imposée des images numériques que l’acte de peindre tente de surmonter avec courage et panache. Le panorama de ce fragment de collection ouvre ainsi une fenêtre historique sur ce qu’a été la peinture de ces quarante dernières années, parfois en marge des circuits classiques, révélant des évolutions significatives quant au regard que les artistes portent sur la société et ses symboles culturels. 

Julie Chaizemartin 

Julie Chaizemartin est journaliste et critique d’art à Paris. Collaboratrice régulière des mensuels Transfuge, Artpress et du Quotidien de l’Art, elle signe aussi des textes pour des catalogues d’expositions et des monographies d’artistes.  Diplômée de l’Ecole du Louvre et de Paris I Sorbonne en Histoire de l’Art et Droit, elle est la fondatrice d’Art District Radio, webradio consacrée à l’art et au jazz, et est l’autrice du livre d’art Ferrare: joyau de la Renaissance italienne (éd. Berg International, 2012).